Les archéologues multiplient les découvertes remarquables, lors des fouilles liées au canal Seine-Nord. Près de Nesle, statuettes et offrandes attestent l'existence d'un culte.
Au creux d'un vallon, en plein champ à Mesnil-Saint-Nicaise, près de Nesle, un trou de 15 mètres de profondeur. L'eau y est pompée en permanence, qui sourd de la nappe phréatique.
C'est des entrailles de la terre, du fond de deux puits de l'époque gallo-romaine, que l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) vient d'exhumer, dans une minutie fiévreuse, des vestiges qualifiés de « remarquables ».
Il s'agit de nombreux objets en céramique en très bon état de conservation (grâce au milieu humide) : des statuettes de chevaux, bœufs et oiseaux ; une déesse mère allaitant deux enfants ; un personnage protecteur assimilé à un dieu, Risus, représenté sous la forme d'un enfant chauve arborant un sourire forcé.
Parmi les pièces qui émerveillent d'emblée les scientifiques figure un grand mortier (vasque, bassin) sur lequel est gravée une dédicace au dieu Apollon. Un certain Iunianus aurait fait cette offrande, entre les Ier et III e siècles après-Jésus-Christ.
Plusieurs dieux honorés
«Vu la diversité des offrandes, précise William Van Andringa, spécialiste des religions romaines, on peut avancer que plusieurs dieux étaient honorés à cet endroit. » Une hypothèse à laquelle acquiesce bien volontiers sa collègue xylologue (spécialiste du bois), Blandine Lecomte-Schmitt.
Elle découvre des bois sculptés à caractère votif qui ont été mis au jour la veille. Elle sort avec précaution, de leurs sachets étanches et remplis de liquide, des jambes sculptées, légèrement incurvées.
«Il n'y a que des membres inférieurs, dont un bassin de femme, qui épouse la forme des branches, avec la fourche », indique-t-elle, se réjouissant des analyses à venir.
Ces offrandes, autrement nommées ex-voto, auraient pour fonction d'implorer une guérison, la fertilité et une protection liée à la petite enfance.
Des découvertes similaires n'ont été faites que dans deux autres endroits en France, dans les années 1960 : à Chamalières dans le Puy-de-Dôme et aux sources de la Seine, en Côte-d'Or.
Y avait-il donc, abrité par cette petite colline, un sanctuaire des eaux, apportant la santé ? La réponse pourrait bien être affirmative, renforcée par le temple, de forme carrée à double enceinte, appelé fanum, qui jouxte les deux puits.
Ce chantier est hors du commun, aussi, par sa technicité, explique Marc Talon, directeur de projet pour le canal Seine Nord. L'exploration des puits se fait grâce une société partenaire de l'Inrap, Archéopuits, qui assure la sécurité des archéologues et respecte les exigences scientifiques.
Le sanctuaire aurait été si bien conservé en raison du terrain particulier, ce talweg (point le plus bas d'une vallée). Une chance qu'il se trouve, encore aujourd'hui, en plein champs, car le terrassement en pyramide inversée qu'il a fallu pratiquer pour accéder aux puits sans danger nécessite une grande place (sans parler de l'eau pompée et rejetée alentour).
«Nous n'aurions jamais pu mener un tel chantier en pleine ville », se félicite M. Talon, qui assure que ses équipes sont, sur ce site, «récompensées ».
ANNE DESPAGNE
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